Comme pour les dessertes du voisinage, Air Sénégal va débuter l’intercontinental avec un appareil loué. Son A330-900neo pas opérationnel, le nouveau porte-étendard sénégalais ne veut pas rater son (en)vol du 1er février. Il cherche vaille que vaille à jouer son rôle dans la dynamique d’inaugurations du Président Sall en cette veille d’élection. Ce qui sera cher payé pour cette compagnie paramétrée pour ne jamais desservir les intérêts d’Air France en Afrique de l’ouest.
Air Sénégal force son envol. Sa commande pas encore prête, le pavillon sénégalais va quand même se poser sur le tarmac de l’aéroport Roissy Charles De Gaulle de Paris. En effet, pour ne pas fausser la dynamique d’inaugurations du Président Macky Sall, la compagnie que pilote le Français Philippe Bohn a loué un appareil A 340 pour opérer ses premiers vols vers la capitale française. Un choix hasardeux sur ce long-courrier alors que la compagnie, qui n’a pas pour l’heure les modules nécessaires, gagnerait d’abord à prendre sa part de marché sur le Maroc, destination moyen courrier où la Royal Air Maroc (Ram) opère 21 vols par semaine entre Dakar et Casablanca. Et cela ne semble gêner aucune de nos autorités en charge des droits de trafic qui pourraient être mieux rentabilisés, comparé aux miettes que verse la compagnie de Sa Majesté, le Roi Mohammed VI.
Ce vendredi donc, le nouveau porte-étendard national va déployer ses ailes sur la capitale française, même si elle ne pourra pas utiliser son A330_900néo livré et réceptionné hier par Macky Sall, pour l’ouverture de sa nouvelle liaison entre Dakar-Blaise Diagne et l’aéroport de Paris-CDG. Un grand pas, dirait-on, pour cette compagnie 100 % publique qui va opérer au terminal 2E de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Mais ces faveurs des Français semblent bien cacher des pièges. Car, dans le montage de la compagnie sénégalaise, tout semble être fait pour que Air Sénégal S.a ne gêne pas les intérêts d’Air France au Sénégal, tout comme la compagnie française a noué un accord similaire avec Air Côte d’Ivoire qui, bizarrement, est partenaire avec la compagnie nationale du Sénégal, dans la région. Et pour pouvoir saupoudrer tout le business, on lui file des slots (créneaux) de prestige, heures de départ et d’atterrissage à Paris. Pour nos cousins gaulois, si le Sénégal a la volonté politique de monter une compagnie, il fallait qu’elle puisse vraiment gêner les intérêts français. Et il y a des choses qui sautent à l’œil nu. Car, on a pris deux Français, Philippe Bohn, directeur général, et Jérôme Maillet, son conseiller et directeur de la stratégie et des investissements, pour piloter la boîte appartenant jusqu’ici à 100 % à la Caisse des dépôts et consignations (Cdc). Mais, aussi bizarre que cela puisse paraître, le propriétaire regarde l’avion passer et n’a aucun poste de responsabilité dans le top management. Le poste de président du Conseil d’administration (Pca) qu’occupait même l’ex-Dg de la Cdc, Thierno Niane, a été filé à Souleymane Ndéné Ndiaye. Pourtant, ce poste revenait de droit à Aliou Sall qui ne voudrait sans doute pas que la famille soit exposée plus qu’elle ne l’est déjà.
D’autre part, l’annonce par le Directeur de la compagnie d’une cyber-attaque de leur serveur sonne comme un contre feu qui pourrait justifier le faible taux de remplissage de l’appareil qui fera le vol inaugural, l’A340, un module très gourmand en énergie puisqu’il fonctionne avec 4 moteurs. Ce qui pousse de nombreux cadres de l’aéronautique à s’interroger sur le choix de ce module pour de vrais connaisseurs de l’industrie du transport aérien.
Mais, le plus inquiétant est que le business-plan de la compagnie semble être fait de telle sorte que Dakar ne pourra pas être un hub, selon un expert du transport aérien sénégalais s’exprimant sous le couvert de l’anonymat. «Abidjan va devenir le hub. Air France y a deux mouvements par jour. Tout a été fait de sorte que les autres compagnies fassent du ramassage pour ses A380 qui desservent la capitale ivoirienne. Le trafic entre les différents aéroports le montre bien», souligne-t-il. Non sans signaler que l’aéroport d’Abidjan est structurellement déficitaire tout comme la compagnie Air Ivoire. «Avec la volonté d’Air France de reprendre les routes d’Air Afrique, on va passer à un hub abidjanais où sont maintenant tous nos pilotes et tout le banc technique sénégalais», ajoute-t-elle. Et de rappeler que le Sénégal a toujours eu de hauts cadres dans le domaine, notamment avec Cheikh Fall, mais aujourd’hui, on laisse de côté toutes ces compétences pour recruter «un Français à la retraite, qui n’est même pas spécialiste de l’économie aérienne», puisqu’il se dit agent d’influence. «Si, avec tout ce que le pays a comme ressources humaines dans le secteur, Ibra Wane de Corsair, Mayoro Racine, Commandant Malick Tall, entre autres, on ne peut pas trouver un Sénégalais capable de piloter cette compagnie, c’est que cela pose sérieusement problème», se désole cet acteur du transport aérien. Qui invite les autorités à être beaucoup plus prudentes dans les relations avec Air France. Car, comme la Ram avait fini par cannibaliser Air Sénégal international (Asi), celle-ci risque de dégager assez vite le ciel ouest africain au premier transporteur français.
Seyni DIOP
