Ousmane Tanor Dieng (02 Janvier 1947 – 15 Juillet 2019) : Le culte de la fidélité et de la loyauté

THIEYSENEGAL.com : Le 15 juillet 2019, Ousmane Tanor Dieng quittait ce monde, à Paris. Fidèle parmi les fidèles des présidents Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor, le défunt homme politique de premier plan n’avait pas dérogé avec leur successeur, Macky Sall. Ousmane Tanor Dieng fut surtout un homme d’Etat intègre au parcours à servir en exemple à la jeune génération.

Par DIE MATY FALL

De son vivant, c’était lui qui avait conceptualisé et initié, dès décembre 2002, dans un élan de générosité et de reconnaissance, la commémoration annuelle par le Parti socialiste de la disparition, le 20 décembre 2001 à Verson, de l’homme d’État sénégalais, poète, écrivain et premier président de la République du Sénégal, né 95 ans plus tôt à Joal, le 9 octobre 1906. Beaucoup de choses lient, en effet, les deux hommes d’État, même s’ils ne sont pas de la même génération.

Outre le fait qu’ils sont tous les deux issus de la même aire linguistique et géographique, Sérères bon teint, extrêmement policés, raffinés et d’une exquise urbanité, marqués par une profonde religiosité, charnellement liés à leur Sine natal, entretenant, comme Abdou Diouf également, une relation privilégiée avec la langue française, le président Léopold Sédar Senghor est celui qui a donné sa chance au conseiller des Affaires étrangères Ousmane Tanor Dieng. Séduit par la concision et l’extrême rigueur de ses notes diplomatiques régulièrement transmises depuis le ministère des Affaires étrangères au chef de l’État, ce dernier le fit venir auprès de lui pour être son conseiller diplomatique au Palais de l’ex-avenue Roume. Laquelle a été ensuite légitimement rebaptisée avenue Léopold Sédar Senghor par son héritier à la tête de l’État, lorsqu’il quitte volontairement le pouvoir le 31 décembre 1980, Abdou Samba Tôrô Diouf, Sérère et Pulaar, élu par la suite président de la République pendant 19 ans. Ce baptême en hommage au père de la nation et bâtisseur de l’État du Sénégal a été dévoilé lors d’une après-midi du mois de… 1999, au pas de course, en même temps que l’aéroport international de Yoff et le stade de l’Amitié sino-sénégalaise, qui portent tous le nom de l’illustre fils de Gnilane Bakhoum, de Djilor et Basile Diogoye, de Joal.

D.O.T et non O.T.D

Comme Senghor, à la fois homme politique, poète, dramaturge, fou amoureux du français et maniant un lexique subtilement choisi auquel il donnait un phrasé magique, D.O.T (Dieng Ousmane Tanor) comme l’appellent ses condisciples de l’École nationale des Travaux publics et du Bâtiment (Entpb) Abdoulaye Thiam, IB, Ablaye Diop « Blair », Makhoudia Ndour et non OTD (Ousmane travaille pour Diouf), ces initiales surgies dès son entrée en politique, il a eu une double carrière de géomètre diplômé et de diplomate. Tout comme le premier Africain à entrer sous la célèbre coupole dorée de l’Académie française, le fils prodigue de Fatou Diop et gorgui Birane Dieng, depuis que sa santé avait grandement décliné, s’est éteint en France, entouré de l’affection des siens tous réunis à ses côtés. Tout comme lui, la nouvelle de sa mort bouleversa ses amis à travers le Sénégal, l’Afrique et le monde, affligea ses familles biologique et politique, émut ses compatriotes, chamboula son parti, troubla la quiétude nationale. Des chefs d’État et de gouvernement se sont déplacés pour présenter leurs condoléances à la nation sénégalaise et à sa famille. Les honneurs civils et militaires lui furent rendus par un président Macky Sall éploré. On a même vu son ami le président Ibrahima Boubacar Keïta (Ibk) du Mali interrompre son témoignage posthume sur son meilleur ami de l’Internationale socialiste et verser de chaudes larmes de chagrin, à l’évocation de leurs souvenirs communs. À l’Internationale socialiste dont il fut le vice-président chargé de l’Éthique et à l’Internationale africaine socialiste (Ias) dont il fut le président, Dieng a parrainé l’entrée de plusieurs partis africains socialistes et aussi contribué à l’accession au pouvoir de camarades africains dirigeants de partis sociaux-démocrates, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et entretenu des relations politiques avec les grands dirigeants de ce monde. On a également vécu une scène inédite avec le début d’incendie du véhicule présidentiel du président Sall devant tous les badauds qui ont filmé la scène de panique. On a vu un fils bien préparé, exécutant sans trembler les dernières volontés paternelles, portant exactement la parole du défunt comme il le lui avait demandé, tenant la chandelle de bout en bout devant leurs excellences.

Dernier hommage unanime à Nguéniène

Nguéniène avait beau être rendue célèbre par la position éminente de son fils, la commune rurale n’avait jamais accueilli autant de monde ni de dirigeants africains. Depuis, la cité a retrouvé son calme. Massamba et Mor veillent indéfectiblement sur leur aîné, tandis que Pape Birane, l’héritier résolument désigné par son père, gouverne avec bonheur les affaires familiales, couve la fratrie ainsi que les deux veuves. Tout comme pour Senghor après sa mort, les Sénégalais se sont pressés sur le parcours du cortège funèbre qui conduisait l’ancien président du Haut Conseil des Collectivités locales (Hcct) et secrétaire général du Parti socialiste, de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass à sa dernière demeure, à Nguéniène, dans la nécropole préparée par ses soins dans le domicile familial, où il repose, selon ses vœux, auprès de son père Birane. À Nguéniene où, enfant, il était gaynako (berger) et faisait paître les vaches paternelles sur une piste qu’il s’était juré de faire bitumer lorsqu’il serait adulte. Son royaume d’enfance où, en bon Sérère, il se dépêchait de rentrer dès la fin des cours pour profiter de sa famille et participer aux travaux champêtres de l’hivernage. Tout comme pour Senghor, la République et toute la classe politique sénégalaise se sont rassemblées devant sa dépouille pour rendre un dernier hommage unanime à celui qui avait inscrit durablement l’opposition dite républicaine dans le jeu politique national, lorsque la victoire du Pds et de ses alliés avait mis fin à la présidence socialiste, entamée en 1960 avec l’indépendance du pays. Comme le clament les panégyristes locaux, « xalam damona bay nex buum ga dokk »…

Senghor, Diouf et Dieng

Il est impossible d’écrire sur Dieng sans parler de Diouf et de Senghor. Les trois hommes d’État sont liés par le destin dans la continuité et la transmission politique à la tête de l’État du Sénégal. Ils appartiennent, en effet, au cercle très restreint des hommes politiques qui ont joué un rôle éminent dans le jeu politique national, le respect de la démocratie, la bonne gouvernance et la prudence dans les affaires de l’État, la rigueur dans l’application de la réglementation, des textes et de la Constitution, à l’aide des instruments de bonne organisation et de méthode théorisés par l’homme d’État Senghor. Animés par le sens de l’État, dirigés par la boussole de la République et renforcés par une fine administration formée de collaborateurs soigneusement triés sur le volet, Senghor a conçu et bâti la vision, Diouf l’a consolidée et modernisée, Dieng lui a apporté un nouvel élan et du sang neuf, chacun jouant la partition de sa génération avec sa touche personnelle. Senghor était le chrétien qui avait obtenu l’onction des musulmans pour toutes ses actions. Senghor est le Président qui veillait à ne jamais dépenser un centime de l’argent de l’État à son profit, celui de sa famille ou d’un tiers. Tous les ans, au moment des grandes vacances, il faisait embarquer sur la navette maritime le véhicule de son fils Philippe Maguilène pour qu’il n’ait pas à utiliser les moyens de l’État à l’ambassade du Sénégal à Paris. Senghor est le chef de l’État qui circulait incognito dans les rues pour valider par lui-même ce que ses collaborateurs lui disaient. Dieng a hérité de cette habitude de se déplacer secrètement, personne ne pouvant imaginer un dirigeant de son importance au volant de sa petite Honda grise ou conduite par un ami. Ainsi, le 31 décembre, il sortait regarder les flonflons de la fête de fin d’année, assis anonymement sur la banquette arrière tandis que sa nièce conduisait à côté de son épouse.

Refus de faire allégeance

Diouf est l’ancien gouverneur de la région du Sine-Saloum qui avait refusé de faire allégeance au président Senghor, exigée lors de la crise politique de 1962, au noble motif qu’en tant que fonctionnaire, il ne devait allégeance qu’à l’État et non à son chef. Le président Diouf est aussi celui qui n’a jamais accepté de gérer les fonds politiques, laissant leur gestion à son tout-puissant ministre d’État, ministre des Services et Affaires présidentiels. Le président Diouf est celui qui avait un salaire mensuel de 400.000 FCfa, en 1993, qu’il partageait en deux portions égales pour sa maman Adja Coumba Dème et son fils aîné Serigne Pierre Makhtar dit Pedro. Diouf est aussi le collaborateur que Senghor savait pouvoir joindre chez lui à tout moment dès qu’il avait quitté le bureau. Dieng était l’éminence grise de Diouf sans que cela lui tournât la tête, celui qui avait la main haute sur toutes les affaires de l’État par la grâce de Dieu et de Diouf, sans que cela ne changeât ses habitudes ni ses amitiés. Tous les trois ont ce culte du secret de l’État, ils ont porté au pinacle la discrétion et la confidentialité dans les affaires de la République, à l’instar de l’ambassadeur Bruno Diatta. Ils ont cultivé le sens de la sobriété et la simplicité alors qu’ils menaient le destin du Sénégal. Ils ont également eu le culte du travail. Dieng était le dernier à quitter, vers 23 heures, tous les soirs à bord de la petite Honda, son bureau de la présidence de la République, en compagnie de son assistant personnel Ibrahima Charles Mangane. Lequel assistant, tout comme le protocole Benoît Sarr, devait être prêt à tout moment de la soirée et de la nuit à répondre à un appel de son patron lui demandant un numéro de téléphone ou de joindre un interlocuteur. Le soir était le moment le plus favorable pour les audiences de la nuit, à l’heure où tous les chats sont gris et où l’on règle certains problèmes de la nation. C’est aussi l’heure à laquelle le boss du boss, le président Diouf, pouvait appeler pour une précision de haute importance. C’est surtout l’heure à laquelle le ministre d’État, ministre des Services et Affaires présidentiels pouvait se consacrer à son travail administratif. C’était l’heure où il était le plus enclin aux commentaires et aux feed-back, en sachant que rien de ce qui était dit ne se serait répété.

« Mes respects, Monsieur le Président »

Le palais (résidence privée du chef de l’État) et la présidence (bureaux présidentiels) étaient deux entités bien différentes dans leur usage, mais tous les deux restaient baignés par un silence feutré et une dignité qui imposaient un comportement correct aux employés et visiteurs. Plus on était proche du bureau du président, le saint des saints, plus on chuchotait et on marchait droit. Pas d’éclat ni d’écart. Et lorsqu’il arrivait d’apercevoir, rarement, la longiligne silhouette du président Diouf, on s’arrêtait aussitôt et on s’adressait à lui en ces termes « mes respects, Monsieur le Président ». Même le tout-puissant OTD. Lors des conseils ministériels qui avaient lieu chaque mardi sous Diouf, pendant que les ministres étaient en salle, leurs chauffeurs aussi tenaient conseil pendant des heures en bas, près de leur véhicule. Gare aux ministres et aux conseillers présidentiels qui n’étaient pas de bons patrons, leurs oreilles devaient siffler ! Aussi bien pour Senghor, Diouf que Dieng, le bureau était un temple sacré du travail et jamais aucune épouse, ni Colette, ni Elisabeth, ni Arame, ni Mame Filly, encore moins les enfants, n’a mis les pieds dans ce domaine réservé de l’État et de la République. Leur domaine réservé à elles, c’était le Palais ou le Chalet des roches rouges, la villa contiguë à la Présidence. De retour au Chalet après avoir fait un tour à la rue Calmette, ou vice-versa, le repas devait être réchauffé tellement Arame ou Mame Filly avait attendu que leur époux quitte son travail. Fidèle en amitié et loyal vis-à-vis de sa fratrie qu’il traitait à l’égal de ses épouses, Ousmane Tanor Dieng a gardé les mêmes vrais amis d’avant, le même goût pour les plats locaux comme le « mbaxalu saloum », le « supukandje » et le « tiéré » qu’il aimait partager avec son ami Mame Bounama Sall, avec Matar Diop « Black Taggart » connu à l’Enam et Ablaye Thiam de Nombo Alarba (Walo) qui était à sa table tous les jours, ou encore Mamadou Diagna Ndiaye qu’il appelait MDN, Baba Diao Itoc, Cheikh Sidy Ndiaye.

Fondamentalement un grand timide

Mal jugé pour sa froideur apparente, surnommé « Jaruzelski » par la presse en raison de son allure martiale et son absence d’émotion, Dieng ne se déridait qu’une fois en compagnie connue, en présence de ses amis d’antan et surtout de ses enfants qu’il adorait. L’homme était fondamentalement un grand timide, peu habitué de la politique politicienne lorsque Diouf l’installe à la direction du Parti socialiste en 1996 et un technocrate pur jus. Sa connaissance parfaite du bâtiment et des travaux publics lui faisait évaluer très vite la valeur d’un projet de construction d’infrastructures. Son extraction paysanne et agricole, bien loin de son allure de prince de Galles, lui faisait porter les soucis du monde rural en tout temps et tous lieux. Après la défaite du régime socialiste, sa plus grande préoccupation était de savoir si le nouveau régime libéral en place allait s’occuper de préparer la campagne agricole de 2000 dans les règles de l’art. La perte du pouvoir allait paradoxalement contribuer à endurcir sa carapace d’homme politique, à améliorer sa diction en wolof fortement teintée de son accent sérère et à l’installer durablement dans le paysage politique sénégalais (de l’opposition comme de la majorité) dont il deviendra un des éléments les plus appréciés ainsi que dans le cœur des Sénégalais, qui le découvrent enfin tel qu’il est : un des leurs. Un amour qui est allé crescendo avec des regrets depuis son rappel à Dieu.

« Quelle affaire ! »

Pendant ses études à l’Enam, Dieng logeait dans le quartier de Grand Dakar, chez son homonyme et oncle Ousmane Tanor, le père du socialiste Ndiaga Dieng. C’est l’époque où il roulait allégrement en Vespa pour aller aux cours. Son expression favorite restait « quelle affaire ! », tout en passant sa main sur ses cheveux. Ousmane Tanor Dieng était un homme juste, équitable, généreux dans la discrétion, organisé, méthodique, respectueux de l’orthodoxie et très prévoyant.

À la place du problème, il voyait plutôt comment lui trouver une solution dans le long terme, si possible. Il est l’homme qui donnait sincèrement son avis au président Diouf et qui appliquait honnêtement les instructions présidentielles, même lorsqu’il avait auparavant exprimé son désaccord. Il était l’homme qui avait aussi préparé sa succession au Parti socialiste, conceptualisé le retour de Khalifa Sall au sein du Ps et la poursuite de l’alliance au sein de « Benno Bokk Yaakaar » jusqu’en 2024.

Dié Maty FALL