THIEYSENEGAL.com : Entre le Pr Tariq Ramadan et le Sénégal, c’est une relation vieille de plus de 40 ans. L’islamologue, de passage au Sénégal, a été reçu à Touba par le khalife général des mourides. Dans cet entretien accordé au Soleil, Tariq Ramadan revient sur sa rencontre avec Serigne Mountakha Mbacké qui était comme « une expression d’une gratitude ». Tariq Ramadan, sans langue de bois, aborde plusieurs questions portant sur l’islam confrérique, le rapprochement idéologique entre les Frères musulmans et l’islam confrérique, ses démêlés judiciaires en France…
Quel est l’objet de votre visite au Sénégal ?
Le Sénégal est un pays avec lequel j’ai une relation qui date de plus de 40 ans. J’y étais venu à la découverte de l’Afrique subsaharienne et depuis les portes sont ouvertes. Ma visite entre dans le cadre d’une invitation universitaire, d’un colloque qui avait lieu à l’université, au département d’Arabe qui réfléchissait sur la relation entre la référence religieuse et les sciences contemporaines. Il y avait pratiquement 27 interventions académiques en langues arabe et française. C’est dans ce cadre-là que je suis venu tout en sachant en même temps qu’en venant à ce colloque, j’allais établir des contacts avec des hommes et des femmes que j’avais rencontrés lors de mes différentes visites que ce soit du côté des mourides ou des tidianes. Mon idée avec le Sénégal a toujours été de n’exclure aucun des courants, aucune des écoles de pensée islamique parce que nous sommes tous du même chemin. Pas simplement islamique d’ailleurs puisque j’ai toujours eu des rencontres avec les chrétiens sénégalais. Tout ce qui m’a intéressé c’est tous ceux qui pensaient pour le bien et œuvraient pour la fraternité.
Lors de votre séjour vous avez été reçu par le khalife général des mourides. Quel regard portez-vous sur l’islam confrérique au Sénégal ?
Le regard que je porte sur l’islamique confrérique est un regard qui a toujours été depuis le début très respectueux. Et cela vient de ma compréhension de l’islam. Je pense que notre compréhension de l’islam doit être celle-ci : l’islam il est un. Il n’y a pas 36 islams, il n’y qu’un islam. Il y a certains orientalistes en Occident qui disent les islams. Non, y a un islam. Dans cet islam, il y a plusieurs façons de le comprendre. Il y a les courants littéralistes, des courants réformistes et puis il y a les courants qui sont fondamentalement islam qui sont les traditions soufies. Les confréries ne sont pas seulement des confréries qui préservent des pensées particulières. Il y a des différences entre les tidianes et les mourides mais ils ont des racines qui sont très ancrées. A partir du moment où cet islam répond à l’Unicité de Dieu sur laquelle on ne transige pas, la reconnaissance du Prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) comme étant le guide et ensuite il y a des écoles. J’ai toujours été respectueux de cela et je n’ai jamais suivi des excès dans la sacralité des hommes. La vraie tradition mouride ne sacralise pas les hommes, elle comprend que les hommes mènent à Dieu l’Unique. C’est ça la vraie tradition. Il faut faire attention avec l’islam confrérique, de ne pas tomber dans l’erreur de parfois écouter ceux qui suivent pour comprendre ceux qui guident. J’ai toujours fait en sorte qu’à chacune de mes visites, j’exprime ce qui est dans mon cœur à savoir le respect aux traditions. Je suis allé à la rencontre du khalife des mourides avec beaucoup de respect mais aussi avec quelque chose de très importante qui était une expression d’une gratitude. Quand j’étais dans l’épreuve, il a reçu ma fille pour faire des prières pour que Dieu lève l’épreuve. Il se trouve que l’épreuve a été levée et que je venais lui exprimer la gratitude de celui qui sait d’où viennent les invocations et d’où vient la lumière.
Et comment vous avez trouvé le khalife général des mourides ?
Je l’ai trouvé extrêmement bien veillant, extrêmement chaleureux. Il a voulu me faire passer beaucoup de messages explicites et implicites que j’espère avoir reçus dans leur expression. J’ai trouvé effectivement cette bienveillance, ce sourire. Il était souriant. Ce qui se dégageait de ce qu’il me disait c’est une chose qui était peut-être la plus importante à savoir qu’il faut avoir confiance. Il a exprimé le fait qu’il avait confiance dans toutes les épreuves qu’il avait traversées et qu’il fallait garder la confiance. Plus que cela parce que je ne suis pas allé tout seul, je suis allé avec ma femme et en même temps la délégation qui nous accompagnait. J’ai rencontré un homme mais aussi une vision, un projet, une tradition, des racines dans le pays. Quand je suis entré à Touba, j’ai senti qu’il y avait une atmosphère qui était particulière. A partir de là vous sentez bien qu’il y a une densité spirituelle qu’il faut entretenir, saisir, appréhender. C’est quelque chose qui a rayonné sur l’ensemble de ce voyage. Ce que j’aimerais expliquer c’est ceci : j’ai une fidélité profonde à toutes les traditions islamiques. J’ai appris très tôt dans mon éducation familiale et ensuite dans mes études qu’il y a un islam et des façons de se rapprocher de Dieu à partir du moment où on ne rend pas le halal haram ou le haram halal. A partir de là on comprend qu’il faut respecter les hommes. J’ai une relation qui a été particulière avec un homme qui est parti maintenant, paix à son âme : Serigne Babacar Mbow. Il a été très important pour moi. J’ai compris très vite que nous avions le même objectif devant Dieu et le même enseignement parmi les hommes et la même route. Nous étions sur la même route, nous ne marchions pas forcément de la même façon. Il y a une chose qui nous a liée : la fraternité et l’amour. Ceux qui passent leur temps à discuter des détails, c’est parce qu’ils n’ont pas la foi dans la profondeur.
Y a-t-il un rapprochement idéologique entre les Frères musulmans et l’islam confrérique ?
Ceux qui font ces rapprochements de façon très courte ont une connaissance superficielle de l’islam confrérique et des frères musulmans. L’islam confrérique c’est une organisation autour d’un guide, d’un khalife. La fonction première c’est de renvoyer chaque être humain à son travail intérieur. Je suis le petit-fils du fondateur des Frères musulmans. Les gens ne font que répéter ce qu’ils entendent de l’occident sur les Frères musulmans. Ce qu’ils ne savent pas est que Hassan el-Banna, fondateur des frères musulmans, était membre d’un cercle soufi. Il y a trois choses que les confréries au Sénégal et les Frères musulmans en Egypte partagent. La première c’est la priorité du travail de la spiritualité et de la réforme des cœurs. La deuxième des caractéristiques qui font qu’ils se ressemblent est que les deux ont compris une chose : le colonisateur ne veut pas simplement le pouvoir, il veut s’en prendre à la racine de la foi des musulmans. Cheikh Ahmadou Bamba était un résistant. Ils l’ont promené partout et ont voulu l’éliminer. Hassan el-Banna a été tué par les Britanniques. Il avait dit aux Britanniques : « soit vous quittez le pays, soit je lève le peuple ». On a de ce point de vue la compréhension que l’islam profond va trouver des forces extérieures qui vont dénaturer. Dans les histoires, ils ont les mêmes ennemis. Comme vous avez les mêmes ennemis, vous avez eu les mêmes mensonges. Pour connaitre une confrérie, il faut la connaitre de l’intérieur. Ce n’est pas en France, en Europe ou aux Etats-Unis qu’on aura la réalité. On peut ne pas être d’accord, mais je suis très respectueux des confréries. Même par rapport aux Frères musulmans j’ai beau être le petit-fils de…j’ai été très critique vis-à-vis de certains choix politiques. Mais y a une chose que je dis à tous ceux qui vont me lire : vous pouvez avoir n’importe quelle position mais au moins on doit être informé. Avant de parler, tu lis et pour lire il faut t’informer. Ceux qui, sur les réseaux sociaux, pensent qu’ils sont intelligents parce que derrière un anonymat ils expriment une opinion qu’ils ont emprunté à l’Europe, ceux-là sont quadruplement aliénés. Ils ne savent pas, parlent trop vite, ils ne pensent pas et donnent une opinion. Aujourd’hui, il faut que nous ayons des gens qui sachent un peu quels étaient les enjeux et pourquoi. J’ai rencontré ici des gens des tarîqa tidianes et mourides. Certains ont été formés en Egypte. Ils savent et ont un grand respect pour la résistance spirituelle égyptienne qui venait des Frères musulmans. Le lien spirituel entre l’Egypte et le Sénégal, il n’y a que les imbéciles qui ne le voient pas. Ceux qui sont des êtres d’esprit, de spiritualité, savent qu’entre ces deux pays, il y a un lien tout à fait particulier qui est ancestrale.
Comment avez-vous vécu l’épreuve de vos démêlés judiciaires en France ?
Je l’ai vécue en sachant très très bien d’où ça venait. Je savais que c’était une épreuve qui venait d’ennemis que je connaissais et je les avais déjà identifiés. Je savais que je dérangeais. Depuis 40 ans je dis que je sais que je dérange et je sais qui je dérange. Je savais d’où venait le coup. Entre savoir qui vous attaque et savoir le sens de ce qui vous arrive, c’est deux choses différentes. Je savais qui étaient mes ennemis. Il y a des personnes pour qui le fait de dire que je suis musulman et je l’assume était problématique. Je savais que cela les gênait parce que j’avais une voix qui les gênait parce que je suis Européen, je suis musulman et puis j’avance.
Y avait un autre enseignement dans mes démêlés, c’est l’enseignement spirituel qui était de dire et de comprendre très profondément que Dieu me faisait vivre une épreuve pour me rappeler à l’essentiel des choses. Je l’ai vécu spirituellement. Je l’ai vécu avec Dieu au moment où j’ai fait la prière. Je l’ai vécu avec mes parents très proche, ma femme, avec mes enfants et tout ceci nous a réuni autour de l’essentiel : se souvenir que quelques soient les réalités de la vie, Dieu Seul compte et les épreuves ne sont faites que pour nous ramener à Lui. Comme dit le Prophète « Dieu met à l’épreuve ceux qu’Il aime ». Sur le plan judiciaire, je sais que je suis innocent. Je l’ai toujours su et toujours dit. Comme je sais que Dieu est avec les justes, il fallait être patient. La patience c’est de comprendre que quel que soit leur mensonge, un moment donné il y aura un signe qui fera relevé la vérité. Quand ma fille est venue ici, avec les invocations, la première étape était de sortir de la prison. Vous sortez de prison mais après vous restez dans la prison de leur campagne médiatique, de leur jugement, de leur mensonge. C’est une réalité et il faut être patient pour traverser cela. A l’heure où je vous parle maintenant, des signes très positifs sont en train d’apparaitre. Quelque chose est en train de se passer qui va dire la vérité sur cette affaire et montrer la vérité parce qu’au bout du compte ce n’était qu’un piège. Il y a des gens qui étaient malveillants et qui se sont intéressés à ce que je représentais et qui ont voulu me faire tomber pour ce que je représentais. Ils sont dans l’illusion. Un homme ne représente ce qu’il défend le temps de sa vie mais ce qu’il représente surtout quand c’est Dieu, quand c’est la justice et la vérité. Au-delà de ceci, j’ai promis à Dieu en prison de servir le message jusqu’à mon dernier souffle.
Quelle leçon avez-vous tiré de cette épreuve ?
J’ai passé ma vie à parler de Dieu, à enseigner, à faire tout un travail éducatif et en un moment donné on est pris par le temps. Je prenais l’avion deux fois par semaine et j’étais tout le temps en voyage. Après Dieu a dit « tu vas t’asseoir et tu vas refaire le compte de tout ceci ». Quel est le plus beau cadeau que Dieu peut faire à un homme que de lui faire le bilan de sa vie avant sa mort ? Il n’y a pas plus beau cadeau. Le plus beau cadeau c’est avant que tu pars, fais le bilan et reviens sur ce qui est juste avant de partir. Il m’a donné dans la vie la possibilité de rehausser, purifier et rectifier les erreurs que je pouvais avoir dans ma vie. Il y a des gens qui ont vu ça comme une chute mais moi je vois ça comme une élévation. Ce qui peut être une chute sociale peut être une élévation spirituelle. C’est comme ça que je le vis et sachez-le, je suis beaucoup plus fort aujourd’hui, beaucoup plus profond spirituellement aujourd’hui que je le fus avant. Je ne peux que revenir à ce que Luqman avait entendu de l’inspiration divine et qu’il disait à son fils : « remercie Dieu ». Loin de me plaindre de quoi que ce soit, je remercie Dieu pour cette épreuve parce qu’elle est un cadeau.
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’islam en France ?
On parlait toute à l’heure de d’où venez les coups. On a essayé de dire que c’est une affaire internationale. En fait c’est une affaire française. C’est français et ça se passe qu’en France. Même quand on a essayé de dire que c’est une affaire suisse, elle était liée à la France. Aujourd’hui on le sait, les choses sont en train de s’éclaircir sur ce point. C’est une vraie affaire française. La France a toujours considéré que l’islam est la religion des colonisés parce que c’était au Sénégal, en Afrique du Nord, ce sont les colonisés. C’est la religion de ceux sur qui on a le pouvoir. Tout à coup, vous avez des citoyens qui sont devenus Français qui sont d’origine sénégalaise, marocaine, algérienne, tunisienne, ivoirienne et sont musulmans. Ce n’est plus la religion des anciens colonisés, c’est la religion de nos nouveaux concitoyens et ça ne passe pas. Je leur ai dit que vous appelez Mamadou, Mohamad, Fatima, Maïmouna, ce que vous voulez, aujourd’hui votre prénom est un prénom français contrairement à ce que pense Zemmour et tout ce qu’il a pu dire. Ce sont des prénoms devenus français et l’islam est une religion française. Le premier problème de la France c’est de penser toujours l’islam comme la religion de l’extérieur et les citoyens français de confession musulmane comme des citoyens étrangers. Ils sont étrangers parce qu’ils sont trop musulmans. Cette compréhension est problématique.
Pour vous la France a un problème avec la religion musulmane ?
La France a toujours eu un problème avec la religion. La nouvelle présence de Français de confession musulmane, avec leurs pratiques, c’est comme si on dérangeait l’identité française parce qu’on prie dans la journée, on jeûne. Le mois du Ramadan, toutes les grandes enseignes savent que c’est le Ramadan parce que la consommation change, la temporalité change. Ces citoyens-là sont des millions maintenant et ont un impact sur l’économie tellement que les grandes enseignes font maintenant des rayons pendant le mois de Ramadan. Ça ils le savent économiquement. Ce qu’ils savent économiquement les gêne fondamentalement et culturellement. Aujourd’hui vous voyez quelque chose qui est en train d’évoluer et qui est très dangereuse à savoir toutes les lois sur le séparatisme. Il y avait la loi de 2004 sur les foulards, maintenant c’est le séparatisme, cibler des imams, les uns après les autres. Je leur avais dit en 2017 quand cela m’est arrivé. Les renseignements généraux sont venus me voir en 2016 pour me faire comprendre que j’étais une cible. Et quand il m’est arrivé ce qui m’est arrivé, j’ai dit aux Français de confession musulmane que je suis le premier d’une longue liste. Ils arrêtent les associations, ferment les mosquées et renvoient des gens de leurs pays d’origine. Ils les envoient au Niger, au Maroc, en Algérie. Donc il y a un processus de criminalisation de la parole islamique. Si vous avez une conscience politique et que vous dites que ce qui se passe en Palestine, n’est pas acceptable parce que ce sont des êtres humains et qu’on ne peut pas les déshumaniser, on vous dit apologie du terrorisme. Soutenir les victimes palestiniennes est devenu l’équivalent de l’apologie du terrorisme. On ne sait plus ce que les mots veulent dire. Mais ce qu’on a compris c’est que c’est toujours les mêmes qu’on vise. De ce point de vue, la France ne va pas très bien. Du point de vue de son rapport avec l’islam, la route est extrêmement longue. Un proverbe africain dit « qu’on ne jette une pierre à un arbre que quand il porte des fruits ». Toute cette excitation veut dire qu’ils sentent bien qu’il y a quelque chose qui est en train de se passer. Que les Français de confession musulmane comprennent de plus en plus leur religion, qu’ils l’assument de plus en plus. C’est pour ça que ce discours devient extrêmement négatif. Ce que vous m’avez demandé sur la France, on peut le voir partout en Europe. Regardez ce qui est en train de se passer aux États-Unis. C’est extrêmement grave ce qui s’y passe parce que les Américains de confession musulmane vivent des choses qui sont terribles. Il faut être patient, puis continuer avec beaucoup de sagesse et non pas à répondre au mal par le mal. Dans notre tradition, on nous demande de répondre toujours de la meilleure des façons. Et qu’est-ce que c’est la meilleure des façons ? Tu dis ce que tu veux de l’islam, tu dis ce que tu veux des musulmans, ma seule réponse est de te montrer que là où je suis, je ferai le bien et je serai un supplément de bien, d’éthique et de contribution. Notre message à nous, ce n’est pas d’essayer de nous intégrer pour disparaître, c’est de contribuer pour être visible dans la contribution. Pas dans les tenues vestimentaires, pas dans nos barbes, mais dans le bien. Donc il faut être patient parce que l’histoire nous montre que c’est la bonne voie. La sagesse, c’est la patience.
La guerre à Gaza a rabattu les cartes au Moyen-Orient. Que nous révèle ce conflit ?
Ce conflit au Moyen-Orient, il faut vraiment comprendre que c’est un conflit régional à résonance internationale. Il faut comprendre le discours qui a été tenu par les forces israéliennes. Les forces israéliennes disent au monde, en fait, « nous sommes le rempart par rapport à l’islam ». Ce qu’ils disent c’est l’islam politique mais en fait, ce n’est pas l’islam politique. Tout le monde a compris qu’à Gaza, ce n’était pas le Hamas, c’est la population qu’on tue. Ce qui se passe à Gaza c’est exactement la même chose en Cisjordanie. C’est une politique d’élimination et c’est ce qu’a dit la Cour internationale de justice. C’est un processus génocidaire qui se réalise à Gaza et dont on a les répercussions en Cisjordanie. Qu’est-ce que ça révèle ? Ça révèle une chose qui est particulièrement importante. Ici en Afrique, dans tous les pays africains, le soutien populaire à la cause palestinienne est une évidence dans tous les pays du Sud. Ce dont il faut se rendre compte, qu’est-ce qu’a révélé l’affaire palestinienne ? Que les médias occidentaux acceptent le discours israélien déshumanisant les Palestiniens. On savait qu’en Occident on déshumanise ceux qu’on ne respecte pas. Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui en Rdc ? Qu’est-ce qui s’était passé au Rwanda en 1994 ? On sait que, finalement, la sensibilité humanitaire de l’Occident dépend de la couleur des victimes et de leur religion. Il faut qu’on regarde l’affaire palestinienne comme quelque chose qui révèle d’autant plus. C’est la première fois dans l’histoire que, sous nos yeux, on a un massacre caractérisé et que les journaux occidentaux ne disent rien. Finalement, ils deviennent des complices de ce qui se passe. C’est incroyable que vous ayez cette sensibilité par rapport aux Palestiniens et que vous soyez silencieux quand ça arrive aux Africains. Nous sommes du côté de toutes les victimes quand ça se passe au Rwanda, ou en Rdc ou dans n’importe quel pays au monde. Chaque mort compte. On ne peut pas lire le Coran qui te dit que si tu tues un homme c’est comme si tu tuais l’humanité et quand ça arrive au Sénégal ou quand ça arrive en Rdc, tu ne t’émeus pas et puis tu t’émouvrais, par exemple, quand ça arrive en Palestine. La réalité de la question palestinienne, c’est qu’elle doit nous rappeler, aujourd’hui, qu’elle révèle des tensions internationales qui, très clairement, mettent en évidence, aujourd’hui, une rupture entre le Sud et le Nord, et dans le Nord, une rupture entre les peuples et les gouvernements. Dans le Nord, pour la première fois de l’histoire, la majorité des peuples comprennent que ce qui se passe en Palestine est inadmissible, que ce n’est absolument pas acceptable. Il y en a certains qui sont manipulés, mais le sentiment populaire, c’est que les Palestiniens révèlent qu’il y a des forces obscures qui ne comprennent que leurs intérêts économiques et qui soutiennent les pires des régimes.
Mais comment sortir de l’impasse et restaurer la paix dans cette région ?
Il faut avoir des principes et il faut avoir un discours extrêmement clair. Le premier principe c’est de commencer par dire que tous les êtres humains ont la même dignité. Le deuxième principe est qu’il y a un droit international et il faut le faire respecter. Et qu’est-ce que dit le droit international ? Qu’on revienne aux frontières de 1967. Respectez-le. Aujourd’hui, il y a plus de 84 résolutions des Nations unies que les Israéliens ne respectent pas. Même quand la Cour internationale de justice leur dit vous êtes en train de faire un génocide, réponse d’Israël : « vous êtes antisémite ». Ça va durer jusqu’à quand ? Il faut la reconnaissance de l’État palestinien temporairement, parce que le but, c’est que les gens puissent vivre ensemble dans un État binational qui reconnaisse l’égalité des droits. Aujourd’hui, la carte vous montre qu’il n’y aura pas d’État palestinien dans les confettis qu’on leur a laissés. Il faut au Sud, il n’y ait pas simplement des gouvernements qui s’émeuvent de la situation, que ce soit au Sénégal, dans toute la sous-région ou sur le plan global. Il faut de vrais mouvements de gouvernement qui fassent opposition à ce que l’Occident décide. On a besoin de voix mais les voix qu’on a entendues, les plus courageuses viennent de l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud. Les autres, on les entend soutenir les Palestiniens, mais pas prendre de mesures. Le Sénégal, tout seul, peut ne rien faire. Mais le Sénégal, avec d’autres pays, il peut faire plus en termes de pression politique.
Vous avez animé, samedi dernier à l’espace Maam Samba une conférence sur le Khidma comme voie d’élévation. À quoi consiste selon vous le Khidma ?
Le Khidma, c’est une notion spirituelle particulièrement importante. Elle est au centre des enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Le Khidma, c’est le service, avoir la foi, servir. Croire en Dieu, c’est servir. Servir Dieu, bien sûr, puisqu’on entre dans sa paix, on essaye d’entrer dans sa proximité, donc on essaye de le servir. Le service c’est d’abord être au service de son cœur et de faire en sorte d’être meilleur tous les jours. Servir c’est aussi donner sa place à l’agriculture, au village, aux ancêtres. Le service c’est tout ce qui permet à une femme et à un homme de promouvoir le bien socialement, spirituellement, politiquement.
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