Royaume-Uni : un jeune migrant sénégalais condamné, une décision qui interroge sur la justice migratoire
THIEYSENEGAL.com : La justice britannique a condamné, mardi 18 juin, Ibrahima Bah à neuf ans et demi de prison pour homicide involontaire. Ce jeune migrant sénégalais, âgé de 17 ans au moment des faits, était aux commandes d’une embarcation de fortune transportant près de 40 migrants lorsqu’elle a chaviré dans la Manche en décembre 2022, causant la mort de quatre personnes. Une décision inédite et controversée, dénoncée par de nombreuses ONG et défenseurs des droits humains.
C’est la première fois qu’un migrant est reconnu coupable au Royaume-Uni de la mort d’autres migrants dans le cadre d’une traversée clandestine. La justice l’a tenu pour responsable d’avoir mis en danger la vie des passagers, bien qu’il ait affirmé devant le tribunal de Canterbury avoir été contraint de piloter le bateau par les passeurs organisateurs de la traversée.
Selon les éléments rapportés par Les Échos, les avocats d’Ibrahima Bah avaient fourni des documents attestant de sa minorité au moment des faits. Les autorités britanniques ont néanmoins refusé de la reconnaître, soulevant un débat sur le traitement réservé aux mineurs non accompagnés.
Le dossier judiciaire britannique prend un relief particulier dans un contexte transfrontalier. En France, le même jour, s’est ouvert à Boulogne-sur-Mer le procès de neuf présumés passeurs, membres d’un réseau accusé d’avoir organisé la traversée mortelle. Originaires pour la plupart d’Afghanistan et de la région kurde d’Irak, ils sont poursuivis pour trafic d’êtres humains, mise en danger de la vie d’autrui et homicides involontaires.
L’enquête française révèle que les pilotes des embarcations, souvent des migrants eux-mêmes, sont désignés sous la menace ou en échange d’une réduction du prix du passage. Une mécanique bien connue des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains.
Pour plusieurs organisations humanitaires, la condamnation d’Ibrahima Bah illustre les ambiguïtés des politiques migratoires européennes. « Ce jeune homme est doublement victime : des passeurs qui l’ont contraint, et d’un système judiciaire qui refuse de voir sa vulnérabilité », déplore Amnesty International dans un communiqué. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelle, de son côté, que les États ont l’obligation de protéger les mineurs isolés, et non de les criminaliser.
Ce jugement britannique fait écho à une stratégie de dissuasion migratoire de plus en plus sévère au Royaume-Uni, renforcée par le projet controversé d’expulsion vers le Rwanda. Une approche que de nombreux observateurs jugent inefficace et inhumaine, notamment face à des réseaux de passeurs de plus en plus violents et organisés.
Alors que les avocats d’Ibrahima Bah ont annoncé leur intention de faire appel, la question reste posée : jusqu’où les démocraties européennes peuvent-elles aller pour décourager l’immigration irrégulière, sans piétiner les droits fondamentaux des personnes en détresse ? Ce procès marque peut-être un tournant dans la manière dont l’Europe choisira de regarder – ou non – ses responsabilités face aux drames migratoires répétés dans la Manche.
La rédaction de THIEYSENEGAL.com