THIEYSENEGAL.com : Ils ont les yeux vitreux, rivés sur des écrans qui dévorent leur âme. Leurs doigts tremblent, accros à des notifications qui ne les nourrissent pas, mais les vident. Le monde réel n’est plus qu’un décor flou, une ombre derrière la lumière bleue des smartphones. Ils s’appellent Amina, Babacar, Modou, mais ils pourraient s’appeler aussi « Nulle Part ». Ils sont des étudiants, des tiak tiakeurs, des charretiers, des agents de tenue réglant la circulation, des membres des écuries de lutte, ils sont ces millions de jeunes qui sont dans nos familles, ceux que nous croisons dans la rue et un peu partout.
Ma série-préféréé- « Adolescence », a tiré la sonnette d’alarme : la jeunesse est en train de se dissoudre dans le virtuel, l’addiction et l’indifférence. La drogue ? Elle n’est plus seulement dans les seringues ou les joints, elle est dans ces jeux en ligne qui transforment les cerveaux en machines à dopamine, dans ces réseaux sociaux qui fragmentent l’attention, tuent l’empathie. Les écrans ne sont plus des fenêtres sur le monde, mais des murs. Des murs derrière lesquels ils s’enferment, sourds aux voix de ceux qui les aiment.
En cause, la déréalisation dont je parle dans mes sessions d’éducation au numérique ou dans mes cours de communication. Le mot est lâché. Ils ne savent plus ce qui est vrai, ce qui est faux. Les limites entre le jeu et la vie s’effacent. Certains frappent, hurlent, comme si leurs émotions n’étaient plus que des pixels. La technoference, l’autre indicateur de notre mal être – cette intrusion permanente des écrans dans chaque interaction – a brisé nos liens familiaux et sociaux. Plus de regards, plus de silences partagés. Juste des messages qui s’accumulent, des cœurs qui se vident.
Et puis il y a la violence. Celle qui jaillit quand la frustration devient trop lourde, quand le monde réel refuse de se plier à leurs désirs instantanés. Insultes, coups, autodestruction. Les jeunes ne savent plus attendre, ne supportent plus la frustration. Tout doit être immédiat, comme dans leurs jeux, comme dans leurs rêves numériques. Le péril jeune c’est aussi le nombre : les images de plages bondées, les universités surpeuplées, les quartiers et stades font peur quand nous voyons le nombre de jeunes qui y sortent. La jeunesse et son nombre dans nos pays est un sujet presque tabou, personne ne veut parler de la pression démographique de cette jeunesse happée par le digital.
Où sont les parents ? Souvent dépassés, parfois complices. Trop occupés, trop absents, trop connectés eux aussi. L’école est larguée comme les parents. La famille n’est plus un refuge, mais une coquille vide où chacun dialogue… par écrans interposés.
Nous sommes en train de perdre une génération. Pas à la guerre, pas à la famine, mais à l’addiction, à l’isolement, à l’illusion du virtuel. Si nous n’agissons pas maintenant, que restera-t-il d’eux ? Des fantômes, errants dans un monde qu’ils ne comprennent plus, incapables d’aimer, de souffrir, de vivre vraiment. Le péril jeune n’est pas une crise. C’est une tragédie silencieuse. Et le temps presse. Aucune politique de développement ne peut réussir dans nos pays, si cette question n’est pas correctement comprise et adressée : dans nos pays les jeunes sont entrain d’être abrutis par les réseaux sociaux, Tik Tok en premier. Jonathan Haidt, psychologue social et auteur de « The Anxious Generation », ne mâche pas ses mots. Son constat est glaçant : TikTok, et les réseaux sociaux à contenu ultra-rapide, ne se contentent pas de distraire les jeunes. Ils les abrutissent « Nous sommes en train de mener la plus grande expérience de manipulation de masse de l’histoire – et les cobayes, ce sont nos enfants », révèle Haidt.
Imaginez une génération entière élevée à coups de vidéos de 15 secondes, de défis stupides, de contenus éphémères qui fragmentent leur attention, détruisent leur capacité à réfléchir, à se concentrer, à ressentir de la profondeur. Les algorithmes de TikTok ne sont pas conçus pour éduquer, ni même vraiment pour divertir. Ils sont conçus pour addicter. Pour capturer des cerveaux encore en développement et les formater à l’instantanéité, au superficiel, au « scroll » infini. Haidt le dit clairement : « Avant, les enfants jouaient dehors, se confrontaient au réel, apprenaient à gérer leurs émotions. Aujourd’hui, ils passent des heures à ingurgiter du vide, et nous nous demandons pourquoi ils sont anxieux, déprimés, violents, belliqueux, incapables de penser en dehors des tendances du moment. » Les études le confirment : plus un adolescent passe de temps sur TikTok, plus ses résultats scolaires chutent, plus son anxiété grimpe, plus sa mémoire de travail s’affaiblit. Ils ne savent plus lire un livre de 20 pages. Ils peinent à suivre une conversation de 5 minutes. Ils ne peuvent plus débattre. Leur esprit a été formaté pour la vitesse, pas pour la réflexion.
Et le pire ? Nous les avons livrés à ça. Nous leur avons mis ces armes de distraction massive entre les mains en croyant que c’était « juste du fun ». Nous avons laissé les géants des réseaux sociaux faire de leur cerveau une marchandise.
Haidt lance un avertissement sans équivoque : « Si nous ne déconnectons pas nos enfants de cette machine à abrutir, nous allons droit vers une génération de zombies émotionnels, incapables de penser par eux-mêmes, de créer, de résister. »
Alors oui, le péril jeune est là. Et TikTok en est l’un des plus terribles soldats. Il est temps de se réveiller. Avant qu’il ne soit trop tard, avant que la déferlante jeunesse renverse tout sur son passage.
Adama SOW,
journaliste spécialiste médias et
usages numériques