Procès Abdou Nguer : la justice sénégalaise face au défi de la liberté d’expression à l’ère du numérique
THIEYSENEGAL : Le procès très suivi d’Abdou Nguer, chroniqueur politique connu sur les réseaux sociaux, et de son co-prévenu Pape Amadou Ndiaye Diaw, administrateur du compte TikTok associé, s’est tenu ce mercredi 8 octobre devant le tribunal correctionnel de Dakar. Une audience tendue, où se sont affrontées deux conceptions du droit : la liberté d’expression d’un côté, et la protection de l’ordre public et de l’intégrité des institutions de l’autre.
Les deux hommes sont poursuivis dans une affaire qui cristallise les débats sur les dérives numériques. Ils sont accusés d’avoir diffusé, via les réseaux sociaux, une vidéo annonçant à tort le décès de Mamadou Badio Camara, ancien président du Conseil constitutionnel. Ce contenu, largement relayé, était accompagné de commentaires jugés « offensants » et « dangereux » par le ministère public, notamment un appel à autopsier le défunt supposé.
Abdou Nguer fait face à trois chefs d’accusation : diffusion de fausses nouvelles, offense au chef de l’État et apologie de crimes ou délits. De son côté, Pape Amadou Ndiaye Diaw est poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles.
À la barre, Nguer a nié être l’auteur de la vidéo en question, affirmant qu’il s’est contenté de « commenter l’actualité » dans le cadre de son activité de chroniqueur. « Je n’ai jamais eu l’intention de nuire », a-t-il déclaré, évoquant un usage légitime de sa liberté d’opinion. Il a également défendu ses propos sur un prétendu écart de 104 milliards FCFA dans les finances publiques, citant le rapport de la Cour des comptes comme source.
Son co-prévenu, en revanche, a reconnu avoir publié la vidéo sur TikTok, tout en minimisant son intention : « Je voulais juste avoir des vues. »
Le procureur de la République, dans un réquisitoire musclé, a dénoncé un discours dangereux, accusant les prévenus de participer à une entreprise de manipulation de l’opinion publique. Il a souligné que certaines déclarations pourraient être interprétées comme une apologie de violences contre les forces de l’ordre.
Estimant que la gravité des faits ne faisait aucun doute, le ministère public a requis :
Deux ans de prison, dont un an ferme et 500 000 FCFA d’amende contre Abdou Nguer ;
Six mois ferme et 100 000 FCFA d’amende contre Pape Amadou Ndiaye Diaw.
Un procès révélateur des tensions entre médias numériques et justice
Ce procès, au-delà des personnes mises en cause, pose des questions fondamentales sur la régulation des discours en ligne dans un contexte de polarisation politique au Sénégal. La viralité des contenus, souvent non vérifiés, pose un défi majeur pour la cohésion sociale, surtout lorsque ces contenus émanent de figures suivies par des milliers d’internautes.
Dans une société de plus en plus connectée, où la frontière entre commentaire politique, rumeur et infraction pénale devient floue, ce dossier pourrait bien faire jurisprudence.
Le verdict est attendu dans les prochains jours. Il pourrait redéfinir les limites de la liberté d’expression pour les acteurs du numérique et les influenceurs sénégalais, de plus en plus nombreux à occuper un espace médiatique autrefois réservé aux journalistes professionnels.
Si le droit sénégalais garantit la liberté d’expression, il la limite également en cas d’atteinte à l’ordre public, à la sécurité de l’État ou à la dignité des personnes. Le débat actuel pose donc la question de savoir si les influenceurs numériques doivent être assujettis aux mêmes règles que les médias traditionnels, ou s’ils bénéficient d’un cadre d’expression plus souple, voire flou.
La rédaction de THIEYSENEGAL.com