Affaire des fonds Covid : Moustapha Ndiaye et ses coaccusés blanchis, le parquet refuse d’en rester là
THIEYSENEGAL.com : Nouveau tournant dans le dossier sensible de la gestion des fonds d’urgence Covid-19. Le 31 octobre dernier, le doyen des juges d’instruction a prononcé une ordonnance de non-lieu en faveur de Moustapha Ndiaye, patron de la société CCMN, Rayan Hachem, propriétaire de la chaîne Planet Kebab, et Mouhamed Dieng, poursuivi pour complicité.
Les trois hommes, inculpés pour détournement de deniers publics et faux en écriture privée et de commerce, étaient au cœur d’un contentieux autour d’un marché public de 30 000 tonnes de riz, estimé à 2,749 milliards de F CFA, attribué en pleine pandémie pour les besoins de l’aide alimentaire d’urgence.
L’affaire, qui avait éclaté dans le sillage du rapport explosif de la Cour des comptes publié en décembre 2022, s’était imposée comme l’un des symboles du débat national sur la transparence dans la gestion des fonds Covid.
À l’époque, l’État sénégalais avait débloqué plus de 1 000 milliards de F CFA pour soutenir les ménages vulnérables, financer les structures sanitaires et stabiliser les prix des denrées de base.
La société CCMN avait été chargée de fournir une importante quantité de riz à destination des populations les plus touchées. Mais des soupçons de surfacturation et de procédures contractuelles irrégulières avaient rapidement conduit à l’ouverture d’une information judiciaire.
Les enquêteurs avaient évoqué un montage financier complexe, impliquant des sociétés intermédiaires, dont celle de Rayan Hachem, soupçonnée d’avoir facilité les flux financiers liés à l’opération.
Après plusieurs mois de détention provisoire et de liberté sous caution, les trois accusés ont finalement été blanchis.
Le juge d’instruction a estimé qu’aucune charge suffisamment probante ne permettait de retenir les infractions initialement visées.
Pour obtenir leur libération provisoire, Moustapha Ndiaye avait versé une caution de 700 millions de F CFA, tandis que Rayan Hachem avait apporté, avec d’autres garants, un cautionnement solidaire de 1,8 milliard de F CFA. Ces montants avaient été fixés à la hauteur des sommes en jeu dans le réquisitoire du parquet.
Les avocats de la défense, qui dénonçaient depuis le début une instrumentalisation judiciaire dans un contexte de forte tension politique, ont salué une décision « conforme au droit et à la vérité des faits ».
« La justice a enfin rendu à nos clients leur honneur. Toutes les livraisons de riz ont été effectuées et validées par les autorités compétentes », a déclaré un membre du collectif de défense.
Malgré cette issue favorable pour les prévenus, l’affaire reste loin d’être terminée.
Selon des sources judiciaires, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar a interjeté appel de la décision du juge d’instruction, considérant que certaines zones d’ombre subsistent.
L’affaire sera donc réexaminée par la Chambre d’accusation, seule habilitée à confirmer ou infirmer le non-lieu.
Un magistrat proche du dossier souligne que cet appel « ne préjuge pas d’une culpabilité », mais traduit « la volonté du parquet d’obtenir une lecture plus approfondie de certaines pièces, notamment les flux de paiements et les attestations de livraison ».
L’affaire CCMN–Planet Kebab s’inscrit dans le prolongement du rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Covid-19, document qui avait mis en lumière des failles administratives et comptables dans plusieurs ministères et entreprises attributaires de marchés.
Plus d’une dizaine de dossiers avaient alors été transmis à la Justice, notamment pour des faits présumés de favoritisme, surfacturation et faux documents administratifs.
Si le non-lieu venait à être confirmé en appel, il s’agirait de la première issue judiciaire favorable dans ce vaste ensemble d’affaires, dont certaines sont encore à l’instruction.
Pour Moustapha Ndiaye, cette décision constitue une victoire morale après deux années d’incertitude. Ses proches parlent d’un « soulagement partiel », dans l’attente de la confirmation définitive.
« Nous avons toujours coopéré avec la justice. Cette ordonnance est la preuve que le dossier était vide », affirme un proche collaborateur du chef d’entreprise.
Mais du côté du parquet, la prudence reste de mise. L’appel déposé vise à garantir une lecture complète du dossier, à un moment où l’opinion publique demeure sensible à la question de la redevabilité et de la bonne gouvernance.
Ce nouvel épisode du feuilleton judiciaire des fonds Covid illustre à la fois la complexité des enquêtes financières et la détermination du parquet à aller au bout des procédures.
Il marque aussi un test institutionnel pour la justice sénégalaise, entre indépendance des juges et pression de l’opinion publique.
La rédaction de THIEYSENEGAL.com