Invasion russe en Ukraine : La situation des Sénégalais à la frontière polonaise

A la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, l’exode a débuté au poste de Korczowa. Une localité polonaise d’environ 660 habitants (recensement de 2006) où la température affichait hier, à 23h27 minutes, heure de Pologne (22h27minutes TU), 0°C. Ici, les passages se font au compte-goutte. Tant les files d’attente s’allongent du côté ukrainien. Varsovie a annoncé, hier, avoir laissé passer 115 000 personnes sur l’ensemble des points frontaliers depuis le début du conflit, jeudi 24 février. Ils sont encore des dizaines de milliers à attendre des heures côté ukrainien, en grande majorité, des femmes et des enfants. Hamster, nounours ou petit chien dans les bras de fillettes, mouton en laine trônant au-dessus de l’amas de valises entassées à l’arrière d’une voiture, gros sacs plastique contenant quelques affaires nécessaires… Aux premiers fracas des roquettes, ces familles ont fait un tri dans l’urgence pour saisir juste le nécessaire et prendre leurs jambes à leur cou. Et c’est dans de telles conditions que la communauté sénégalaise établie en Ukraine a quitté ce pays qui subit, depuis jeudi 24 février 2022, une invasion russe pour aller trouver refuge en Pologne. Routes saturées, embouteillages monstres, sirènes hurlantes, Issa Dasylva, le président de l’Association des étudiants sénégalais en Ukraine, a roulé pendant presque deux jours pour se rendre à la frontière polonaise. «Je suis à Yahodyn, dans la toute dernière ville de l’Ukraine, encore 20 kilomètres et je serais à la frontière polonaise. J’ai quitté Kiev depuis vendredi à 20 heures. Jusqu’à maintenant (hier à 14 heures), je roule. Normalement, on le fait en 8 heures, et là je roule depuis bientôt 48 heures. La route est totalement bloquée et en mauvais état. Tous les Ukrainiens veulent sortir. Il y a des embouteillages partout de Kiev à la frontière. Chaque 10 kilomètres, il y a des postes de contrôle. J’ai subi une vingtaine de contrôles. Nous rencontrons des voitures qui transportent des matériaux de guerre sur tout le chemin», raconte-t-il. «Deux compatriotes étaient retenus depuis hier au poste frontière de la Pologne, parce qu’ils n’avaient pas avec eux leurs titres de séjour. Ils avaient juste leur passeport sénégalais. Mais nous avons pu régler le problème. Finalement, ils ont traversé la frontière», ajoute-t-il. Si Issa Dasylva était sur le point de voir le bout du tunnel, A. Diallo n’était pas encore sorti de l’auberge. «J’ai pu avoir un train. Je suis dans le train. Je me dirige vers la frontière de la Hongrie ou de la Slovaquie. Je vais essayer de traverser la frontière», lance-t-il. Il était 00 heure en TU et 02 heures en Ukraine.

Après des heures d’attente et d’angoisse, une trentaine de Sénégalais a pu atteindre la frontière dans la journée du dimanche 27 février. Parmi ce lot, 15 l’ont franchi. C’est ce qu’a révélé hier l’Ambassadeur du Sénégal en Pologne, en République Tchèque et en Ukraine, Papa Diop. «Trente Sénégalais ont quitté l’Ukraine pour rallier la Pologne. Parmi ce groupe, une quinzaine ont déjà franchi la frontière. On les a orientés dans les 9 centres d’accueil qui ont été ouverts par les autorités polonaises pour une admission temporaire», soutient l’Ambassadeur. Il y en a aussi, parmi ces 15 Sénégalais, certains qui ont pu rejoindre Varsovie, la capitale polonaise, située à 400 kilomètres de la frontière. Leur prise en charge se fait, selon lui, aux frais de l’Ambassade. «Aujourd’hui, j’ai reçu trois Sénégalais, dont deux femmes, qui sont dans la capitale. Je les ai installés dans les hôtels de la place. L’Ambassade a payé pour eux. Nous leur avons aussi donné de l’argent pour leur subsistance pour les 15 jours», renchérit-t-il. Papa Diop dit toutefois être en contact avec les autres Sénégalais qui n’ont pas encore franchi la Pologne. «Il y a une affluence massive au niveau de la frontière. Des milliers et des milliers de personnes de plusieurs nationalités veulent traverser. Arrivés à la frontière, elles doivent faire une queue pour accéder au checkpoint. La queue tient sur une vingtaine de kilomètres et la priorité d’accès est donnée aux femmes et aux enfants. C’est ce qui retarde l’arrivée des autres. Mais nous avons de leurs nouvelles depuis leur départ jusqu’à la frontière en Ukraine. En Ukraine, on a un Consul honoraire qui s’occupe des Sénégalais sur place», explique l’Ambassadeur.
Devenue pays refuge pour les Ukrainiens, mais aussi les personnes résidant en Ukraine, la Pologne a offert une admission temporaire de 15 jours aux réfugiés. Ils y restent 15 jours, conformément aux directives de la Pologne avant de devoir quitter le pays. Passé cette période d’asile, le départ des ressortissants Sénégalais sera organisé en fonction de leurs demandes. «L’admission est temporaire. Ils peuvent entrer sans visa ni test Covid-19 pour une durée de 15 jours. Après ces 15 jours, il faudra soit rentrer au Sénégal ou aller dans d’autres pays européens. S’il y a des gens qui manifesteront leur désir de rentrer au Sénégal, nous allons les aider. Nous avons fait une proposition avec le ministère des Affaires étrangères à Dakar pour ceux qui veulent rentrer. On les aide à avoir le billet d’avion. Tout dépend de ce qu’ils vont exprimer comme souhait. Nous allons les aider par rapport à cela», poursuit-t-il.
Le Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, Moïse Sarr, informe, lui, que des Sénégalais ont quitté l’Ukraine pour d’autres pays, notamment la France. «On nous a signalé trois Sénégalais qui sont en bus pour la France parce qu’ils ont des documents qui leur permettent d’y aller», dit-t-il, précisant que 63 Sénégalais sont répertoriés en Ukraine sur le dernier fichier consolidé. Moïse Sarr indique que l’Etat du Sénégal, sur instruction du chef de l’Etat, a mis des moyens à la disposition de l’Ambassade pour étudier toutes les situations et pouvoir agir. «Les autorités sénégalaises ont dégagé les moyens nécessaires pour faciliter le séjour des déplacés sénégalais en Pologne. Pour le moment, ils sont accueillis en Pologne. Quand tout le monde arrivera, nous ferons l’évaluation. Ceux qui souhaitent rentrer, l’Etat du Sénégal fera le nécessaire», soutient Moïse Sarr.  Le Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur a magnifié la mutualisation des moyens du groupe des Ambassadeurs africains présidé par le Maroc qui se relaient sur le terrain pour aider indistinctement, «tous les ressortissants africains, quelle que soit la nationalité», à accéder en Pologne.
AÏDA COUMBA DIOP